Du 3 au 8 avril 2023, le Burkina Faso, à l’instar d’autres pays dans le monde a célébré la Global Money Week ou semaine mondiale de l’inclusion financière. Au Burkina Faso, cette célébration est portée par le ministère de l’Economie, des finances et de la prospective à travers le Secrétariat technique pour la promotion de l’inclusion financière (ST/PIF). Dans cette interview qu’il a accordé à votre journal Lefaso.net, Lin Hien, secrétaire technique pour la promotion de l’inclusion financière, aborde les questions d’éducation financière, d’inclusion financière, mais également des défis à relever pour atteindre un taux de bancarisation acceptable. Lisez plutôt !
Lefaso.net : Le Burkina Faso a célébré récemment la semaine mondiale de l’éducation financière. Quand on parle d’éducation financière, qu’est-ce que c’est ?
Lin Hien : L’éducation financière comme son nom l’indique, c’est l’ensemble des connaissances que nous inculquons à nos publics cibles pour que ceux-ci puissent avoir tout le savoir nécessaire, les informations sur les produits financiers pour pouvoir faire des choix raisonnables, des choix responsables dans la gestion de l’argent.
A l’occasion de la semaine mondiale de l’inclusion financière, le secrétariat technique pour l’inclusion financière a formé des élèves et étudiants en éducation financière. Pourquoi cette cible ?
C’est une pratique mondiale. La Global Money est célébrée chaque année par 176 pays au niveau mondial plus le Burkina Faso. L’objectif c’est de sensibiliser les plus jeunes dans la gestion financière. Tous les pays ont la même cible, les jeunes de 15 à 24 ans. Nous avons choisi la jeunesse parce que le comportement de l’adulte dépend de ce qu’il a appris dès son jeune âge. On a remarqué que les mauvais comportements financiers de l’adulte dépendent du manque d’éducation financière dès leur bas-âge, leur adolescence. C’est pour cela que la tactique actuelle, c’est de commencer à former les jeunes pour qu’ils puissent grandir avec.
Il y a aussi eu un panel sur l’inclusion financière des jeunes. Qu’est-ce que c’est que l’inclusion financière ?
Le panel a eu un grand engouement au niveau des jeunes. Il y a eu plus de 200 élèves qui ont participé et nous leur avons donné des notions sur l’inclusion financière, sur l’entreprenariat, etc. pour revenir à la question, l’inclusion financière, c’est l’ensemble des mécanismes que nous devons mettre en place pour que tout le monde ait accès et utilise les services financiers de base.
Il y a une étude qui a montré que plus de 60% des jeunes de 15 ans en montant n’ont pas accès et n’utilisent pas les services financiers de base tel que l’épargne, le crédit, les transferts, ainsi de suite. Du coup, ils sont exclus financièrement. Alors l’inclusion financière va consister à mettre tout en œuvre pour les amener à utiliser les services financiers de base.
Quelle appréciation faites-vous de l’inclusion financière au Burkina Faso ?
Actuellement, nous sommes à un taux qui est assez faible parce qu’il y a encore beaucoup de gens qui sont toujours hors des circuits formels. Dans le milieu rural, c’est encore plus accentué. Il y a un manque d’infrastructures, d’énergie et les gens ont très peu d’informations sur les services et produits financiers de base.
Avez-vous une idée du taux de bancarisation dans notre pays ?
Le taux de bancarisation élargi, c’est ce que nous utilisons comme indicateur de mesure de l’inclusion financière. Il est actuellement de 35,75% en baisse par rapport à 39% en 2019. Cette baisse est due aux problèmes de sécurité, à certains problèmes techniques. Ce taux est la proportion de la population qui utilise les services des banques, de la Poste, du Trésor et des structures de microfinance. Pour avoir le taux global, on ajoute ceux qui utilisent les services des émetteurs de monnaie électronique.
Là il est intéressant parce qu’au Burkina, beaucoup de gens utilisent la monnaie électronique. Si on ajoute ça, on a un taux global d’utilisation des services financiers de 89%. Seulement de façon structurelle, ça ne peut pas conduire à un développement réel. C’est le taux de bancarisation élargi qui donne la proportion de ceux qui peuvent avoir des crédits consistants pour mener leurs activités génératrices de revenus. Les études sont en cours, mais les gens ne sont pas encore arrivés au niveau du crédit digital, mais c’est en expérimentation. Quand on va arriver à ça, le taux global d’utilisation des services financiers sera plus intéressant.
Y- a-t-il une disparité de ce taux en fonction des zones ?
Oui tous les taux. La bancarisation stricte, la bancarisation élargie et le taux global, il y a une disparité nette entre le milieu urbain et rural. Les services sont concentrés dans les villes et pratiquement absents dans le milieu rural.
Qu’est-ce qui explique que les Burkinabè soient réticents à aller vers les institutions financières ?
Il y a des réticences qui sont dues à l’ignorance. Les gens ne connaissent pas les services financiers. Ils ne savent même pas quelles sont les banques qui existent, les SFD (Systèmes financiers décentralisés) qui existent, qu’est-ce qu’ils peuvent allés faire là-bas, quels sont les produits qu’ils offrent, les types d’épargne, etc. C’est ça qui explique qu’il y a une méfiance, plus bien-sûr ceux qui sont rentrés et qui ont perdu confiance. Il y a des gens qui ont perdu confiance parce que les services n’ont pas été à la hauteur de leurs besoins.
Est-ce qu’il y a des alternatives à la bancarisation ?
Comme alternative à la bancarisation, nous avons mis l’accent sur la digitalisation. Mais dans tous les cas cela doit passer par les infrastructures bancaires. Sinon, il est difficile de sortir hors des principes de base de la bancarisation. Si nous voulons aller loin, ce sont ces infrastructures qu’il faut utiliser. A travers notre démarche, il s’agira de digitaliser certaines procédures pour faciliter certaines choses et donner plus confiance aux clients ou aux usagers des services financiers.
Quelles sont les actions que vous menez au niveau du SP/PIF pour inciter les Burkinabè à aller vers la bancarisation ?
Au niveau du ministère des Finances, la première des choses, nous sommes en train d’intensifier l’éducation financière des populations. Nous pensons fermement que si quelqu’un est financièrement éduquée, et nous avons eu des preuves, il comprend mieux les choses. Il est donc outillé pour savoir qu’est-ce qu’il doit faire s’il veut aller loin, quels sont les produits et services financiers qui existent. Et en ce moment, il fait des choix responsables par rapport à la gestion de son argent.
Donc, l’éducation financière, c’est la première des choses. Nous menons cette éducation financière dans tout le pays depuis 2017. Chaque année, nous tentons de former un peu plus de personnes et avec les moyens qui sont à notre disposition. Également, nous sommes en train de travailler avec les prestataires de services financiers pour que les produits et services qu’ils offrent soient le plus possible adaptés aux besoins des populations.
En ce moment, il y a des études que nous menons au niveau du SP/PIF pour voir quels sont les besoins réels en fonction de la segmentation des publics cibles. Nous travaillons étroitement avec l’association professionnelle des banques et établissements financiers, l’association professionnelle des SFD, et l’association professionnelle des assurances, et l’association professionnelle des fintechs, afin que les services financiers soient adaptés aux besoins des populations.
Qu’est-ce qui est fait pour que les populations aient envie d’aller vers les banques ?
Le gouvernement vient de créer ce qu’on appelle l’observatoire de la qualité des services financiers. Nous sommes en train d’opérationnaliser cela. Dans le dispositif de l’observatoire, nous aurons des médiateurs financiers. Celui qui n’est pas content d’un service d’une banque, d’un SFN (système financier numérique), d’une assurance, ou d’un promoteur de monnaie électronique, peut passer au niveau de l’observatoire porter sa plainte. Le médiateur financier va se charger de faire une médiation non juridictionnelle. Ce qui va améliorer la confiance de la population envers les prestataires des services financiers.
En décembre 2020, un plan d’action pour l’éducation financière 2021-2023 avait été adopté par le gouvernement. A ce jour, où est-ce que vous en êtes de la mise en œuvre de ce plan ?
C’est un plan d’action que nous actualisons chaque année par tranche. A ce jour, nous avons pu former plus de 15 000 personnes à travers les 13 régions. Chaque année, nous faisons un programme de formation à exécuter.
La stratégie nationale de la finance inclusive veut accroître à 75% la proportion de la population adulte burkinabè ayant accès et utilisant des produits et services financiers abordables et adaptés, d’ici fin 2023. Quels sont les défis qui restent à relever pour atteindre cet objectif ?
Avant d’élaborer la stratégie nationale de la finance inclusive, une étude Fine Scoop a été réalisée en 2016, pour connaître le taux d’inclusion financière à son temps qui était de 39%. Les projections ont été faites pour que la stratégie qui a été prise en 2019 sur les cinq ans puisse atteindre 75%. Malheureusement avec les chocs sécuritaires et sanitaires, au lieu d’accroître, on est revenu à 35%. Mais, si on ajoute le taux de l’utilisation de la monnaie électronique, on peut dire qu’on a dépassé le taux de 75%. Seulement, nous tenons compte du taux de bancarisation élargi qui est beaucoup plus structurant que le taux global d’utilisation des services financiers. Nous allons évaluer la stratégie cette année et rédiger une autre pour les cinq années à venir.
Vous l’avez dit, l’une des alternatives à la bancarisation, c’est la digitalisation. Comment comptez-vous vous y prendre quand on sait qu’au Burkina Faso, il y a un sérieux problème de connectivité ?
Nous sommes en synergie avec le ministère en charge de la digitalisation qui doit disponibiliser l’infrastructure. Nous suivons cela en même temps que nous développons les produits en la matière. Ils ont une stratégie pour couvrir l’ensemble du pays avec une infrastructure solide.
Nous sommes au terme de cet entretien, avez-vous un dernier mot ?
Je voudrais lancer un appel à toute la population pour qu’elle utilise les services financiers formels. En terme simple, ne déposez pas l’argent à la maison, n’utilisez pas les prestataires des services financiers qui ne sont pas agréés. La liste des structures agréées existe. Elle est disponible un peu partout. L’utilisation des services financiers formels permet de développer vos activités génératrices de revenus.