Les maladies oculaires sont plus nombreuses qu’on ne l’imagine. Si certaines peuvent être soignées par la prise de médicaments ou par le port de verres correcteurs, d’autres par contre nécessitent une prise en charge chirurgicale. Dans cette interview qu’elle nous a accordée, Pr Ahgbatouhabeba Zabsonré/Ahnoux professeure titulaire d’ophtalmologie à l’université Joseph Ki-Zerbo, cheffe de service Ophtalmologie au CHU Yalgadogo Ouédraogo, présidente de la Société burkinabè d’ophtalmologie nous parle de la chirurgie oculaire au Burkina Faso et donne des conseils pour préserver la santé des yeux. Lisez plutôt !
Quelles sont les maladies des yeux les plus fréquentes au Burkina ?
Les maladies les plus fréquentes, en général, nous avons les conjonctivites qui ne sont pas graves, les amétropies ou vices de réfraction, c’est-à-dire ceux qui ont besoin de porter des verres correcteurs. C’est ce qui est vraiment fréquent, mais ce n’est pas ce qui est le plus grave.
Quelles sont donc les maladies des yeux les plus graves ?
Les maladies les plus graves, ce sont celles qui entraînent une cécité. Nous avons la cataracte qui entraîne une cécité. Mais l’avantage de la cataracte, c’est que si on l’opère, on retrouve la vue, on parle alors de cécité curable. Et nous avons le glaucome qui entraîne aussi une cécité, mais là, la cécité n’est pas curable. Donc quand on est aveugle à cause du glaucome, c’est pour toujours, il n’y a plus rien à faire. Il faut donc prévenir cette cécité liée au glaucome. Ce sont les plus grandes pathologies, mais il y a beaucoup d’autres pathologies que nous rencontrons.
Il y a les atteintes des annexes : il y a la conjonctive qui entraîne la conjonctivite, il y a des anomalies des paupières comme les entropions, les ectropions, il y a des anomalies de la cornée, les anomalies de l’iris. Chaque structure de l’œil comprend une anomalie. Entre la cornée et l’iris, il y a un espace qui est la chambre intérieure. Dans cette chambre intérieure, il y a un liquide qu’on appelle humeur aqueuse. Lors de traumatisme, on peut avoir une hémorragie à l’intérieur, on peut avoir du sang mélangé à l’humeur aqueuse, on peut avoir aussi du pus.
Derrière l’iris, il y a le cristallin. Quand le cristallin s’opacifie, on a une cataracte qui est curable. Quand une des structures transparentes de l’œil perd sa transparence, on ne voit pas, que ce soit la cornée, le cristallin, le vitré.
La rétine peut être atteinte.
Par exemple dans notre contexte, en cas de drépanocytose, on peut avoir la rétinopathie drépanocytaire qui atteint les vaisseaux qui sont sur la rétine, qui vont se multiplier en périphérie. Et comme ce sont de nouveaux vaisseaux, ils peuvent éclater et causer des hémorragies. On peut avoir un décollement de rétine. Normalement tout drépanocytaire doit annuellement faire un examen du fond d’œil pour voir s’il n’y a pas d’apparition de ces néo vaisseaux.
Si on voit qu’il y en a, il faut faire du laser pour prévenir l’hémorragie et le décollement de rétine. Le décollement de rétine, ça ne s’opère pas ici, on est obligé d’évacuer et même avec tout ça, la finalité, c’est la cécité. Derrière la rétine, il y a ce qu’on appelle la choroïde qui peut être atteinte aussi. Hormis le glaucome, on peut aussi avoir d’autres atteintes au niveau du nerf comme des tumeurs, ainsi que des pathologies liées à une carence en vitamine D.
Ce qui est aussi fréquent, ce sont les traumatismes. Les enfants se blessent souvent et bêtement avec tout. Le plus souvent, ça touche la cornée, ça peut toucher aussi la sclère ou traverser la sclère et toucher la rétine. Et selon l’endroit touché par la blessure, la personne peut perdre la vue. Si c’est une petite plaie qui ne touche pas le centre de l’œil, il y a un espoir de bien voir. Mais si la plaie passe à travers la pupille, il va y avoir une cicatrice, même si on suture, il y aura un problème de vision qui va se poser.
Il y a aussi dans notre contexte et partout dans le monde, le diabète. Le diabète entraîne une rétinopathie diabétique. Là aussi, il va y avoir de nouveaux vaisseaux qui vont être créés comme au niveau de la drépanocytose avec pour conséquence, l’hémorragie du vitrée, décollement de rétine et tout cela va aboutir à la cécité.
Il y a également l’hypertension artérielle. Quand on a l’hypertension artérielle, on peut avoir des atteintes au niveau de la rétine. Il faut savoir que la rétine est le miroir du cerveau. Il y a d’autres pathologies qui peuvent jouer sur les yeux. Il y a les infections, les tumeurs comme le rétinoblastome qui touche les enfants. Quand on voit un enfant avec une blancheur dans l’œil, il faut consulter.
Je n’ai pas cité toutes les maladies, il y en a certainement qui m’ont échappé.
Peut-on avoir une idée de la prévalence des maladies des yeux au Burkina Faso ?
En ce qui concerne la prévalence, il faut savoir que le glaucome, c’est aux alentours de 4%. La cataracte, c’est celle qui entraîne le plus de cécité, même si ce sont des cécités curables.
Sur la question de la chirurgie oculaire, quelles sont les différentes opérations des yeux qui sont les plus pratiquées au Burkina ?
Il y a d’abord les plaies, les traumatismes qui sont à opérés. Il y a aussi la cataracte qui est opérée ici. Le glaucome est opérable aussi. Le but du traitement du glaucome, c’est de diminuer la tension de l’œil soit par les médicaments, soit par la chirurgie, soit par le laser. On opère aussi les plaies des paupières, le trichiasis dû au trachome. La conjonctive peut monter sur la cornée, là aussi on opère. On opère aussi lorsqu’il y a du sang dans la chambre intérieure.
Ce qui ne s’opère pas ici, c’est le décollement de la rétine. Si la rétine est décollée, on évacue à l’extérieur, quand on reçoit tôt le patient. Mais quand on s’y prend tard, ça ne sert à rien, parce qu’opérer n’importe où, c’est déjà trop tard. C’est comme le glaucome, quand on s’y prend tard, on ne peut rien faire.
Quelle anesthésie pour une chirurgie oculaire ?
De plus en plus on opte pour les anesthésies locales, loco-régionales. Mais quelques fois si on ne peut pas faire autrement ou s’il s’agit d’un enfant, on est bien obligé de faire une anesthésie générale ou si le patient bouge trop. Mais sinon que ce soit la cataracte, le glaucome, c’est une anesthésie locale.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la prise en charge des patients ?
Ici à Yalgado par exemple, c’était surtout le matériel. Mais on vient d’être doté de matériels par Light For The World et Lions Club que nous remercions. On en a toujours besoin. Pour opérer la cataracte, normalement c’est la technique nommée phacoémulsification qui est utilisée depuis les années 1950, mais ici nous ne sommes pas encore à ce stade.
On est toujours dans des techniques liées à notre contexte mais qui donnent de bons résultats. Mais ce n’est pas ce qui est fait mondialement. En Inde où on opère beaucoup de cataractes, il y a les deux techniques, celle que nous utilisons, la phacoalternative et la phacoémulsification. La phacoalternative donne de bons résultats mais pas comme la phacoémulsification.
Nous sommes en train de voir comment faire pour avoir un phacoémulsificateur pour opérer comme les autres.
Nous avons aussi un manque de personnel. Dans ce service nous ne sommes que trois.
Justement, vous êtes la présidente de la société d’ophtalmologie, combien d’ophtalmologues compte le Burkina ?
Nous avons environ maintenant 70. Je suis coordonnatrice du DES (Diplôme d’études spécialisées) en ophtalmologie et donc on s’occupe de former les futurs ophtalmologues. Depuis l’ouverture de ce DES jusqu’à maintenant, nous avons 24 ophtalmos qu’on a formés depuis 2014-2015. Parmi ces 24, il y a à peu près la moitié qui sont étrangers. On n’a pu former que ceux que l’Etat nous donne en termes de bourses. Avant on a commencé par cinq, six, maintenant, nous en avons toutes promotions confondues 57. Là-dedans aussi, il y a des étrangers.
Tous les ophtalmologues sont-ils habilités à pratiquer la chirurgie ?
Ils sont censés avoir appris à opérer. Mais c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Donc il faut opérer souvent.
Des conseils pour préserver la santé de nos yeux ?
Avant les conseils, je voudrais tirer la sonnette d’alarme parce que comme je vous l’ai dit, je suis la coordinatrice du DES. Le DES a besoin d’enseignants. Nous sommes quatre enseignants à Ouaga, un à Ouahigouya et deux à Bobo-Dioulasso. On s’en tire pour le moment.
Mais d’ici deux ans, il n’y en aura plus qu’un seul à Bobo-Dioulasso, deux à Ouaga et un à Ouahigouya. C’est vraiment limite et on risque de fermer le DES. Et si on ferme le DES, ceux qui voudront se spécialiser en ophtalmo devront aller à l’extérieur. Je tire la sonnette d’alarme, parce que cela fait sept ans qu’on n’a pas eu de recrutement de nouveaux enseignants.
Maintenant venons-en aux conseils d’usage. Déjà quand on a une pathologie oculaire, les yeux rouges et tout, il vaut mieux consulter. Et si on a dans la famille, une personne qui a le glaucome, il faut aussi consulter et de façon annuelle pour que si le glaucome commence, on puisse le prendre en charge tout de suite. Si ce n’est pas bien pris en charge, c’est la cécité. Pour prévenir le glaucome, il paraît que les légumes verts pourraient empêcher d’avoir cela, comme l’activité physique aussi.
Quand on ne voit pas, on doit consulter et ne pas attendre. Si on voit des étoiles, des flashs lumineux, quelque chose qui ne va pas, il faut consulter, il ne faut pas dire que ça va aller. Il faut consulter parce que ça peut être un début de décollement de rétine. Si on s’y prend tôt, on sauve l’œil. J’ai vu des personnes qui ont attendu avant de venir et c’était tard.
A partir d’un certain âge quand on ne voit pas bien de près, il faut consulter. On ne le fait pas uniquement pour les lunettes, il faut une consultation générale.
S’il y a une anomalie quelconque, il faut consulter et suivre le traitement. Avant de venir vous voir, j’ai laissé un patient qui était sous traitement contre le glaucome, il a arrêté de lui-même. Quand il ne voit plus, il vient. Là c’est un peu tard. Le glaucome, c’est le voleur silencieux.
C’est une anomalie de la périphérie. C’est en périphérie qu’on ne voit pas d’abord. Mais ça on ne peut pas sentir. Le champ de vision diminue jusqu’à venir au centre. C’est là qu’on commence à ne pas bien voir. En ce moment, c’est déjà tard. Quand on détecte un glaucome chez un patient et qu’il voit bien, il se demande pourquoi on veut le mettre sous traitement qui coûte cher. Mais c’est pour préserver l’œil.
Quand on vous a détecté un glaucome, même si vous voyez et il vaut mieux que ce soit quand vous voyez, il faut suivre le traitement et venir en consultation parce que le traitement peut ne plus être efficace et il faut le réajuster. J’insiste sur le glaucome, parce que lorsqu’on est aveugle du glaucome, c’est fini.